Géographie :

1-1 Localisation.

Le site dit « Les Orgues » se situe au nord de la commune d’Ille sur Têt, sur la rive gauche du fleuve « La Têt », l’accès se fait par le chemin de Régleilles. Un parking gratuit et une billetterie vous attendent. À partir de là il faut compter 800 m. de marche pour atteindre le lieu.

Un point de vue aménagé avec une table d’orientation existe sur la route de Montalba. Accessible en voiture, en autobus ou en camping-car, ce panorama vous offre une vision globale du site et de la vallée.

1-2 Relief.

Le site des Orgues d’Ille sur Têt présente des formes de relief particulières que l’on appelle « Cheminées de fées » ou « Demoiselles Coiffées », aux États-Unis comme au Canada on parle de « Hoodoos » pour désigner ces formations.

Les paysages de cheminées de Fées sont souvent exceptionnels et généralement protégés. On retrouve des sites similaires au Canada dans la province de l’Alberta, aux États-Unis dans le parc National de Bryce Canyon, en Turquie dans la région de Cappadoce, et plus localement, en France à proximité du lac de Serre-Ponçon, au pied du Mont-Ventoux dans les Baux de Bédoin, ou à Rustrel.

1-3 Géomorphologie.

Une cheminée de fée est un modelé d’érosion différentielle qui se présente sous la forme d’une colonne de roche tendre surmontée par une coiffe plus résistante. L’action des agents d’érosion est plus intense sur la partie tendre, donc sur la colonne dont le diamètre diminue au fil du temps. L’érosion aidant, le chapeau perd progressivement ses assises, il finira par s’effondrer, d’un bloc ou en morceaux selon sa morphologie. Une fois sa coiffe perdue, la colonne s’estompe beaucoup plus vite.

@Kevin Goubern

II] Histoire géologique

Mise en place des matériaux.
Aux alentours de -14 Ma. le Roussillon est une vaste plaine d’accumulation, une surface monotone dominée par des reliefs résiduels tels le Piton de Força Réal. Le niveau de la mer est 100 m. plus élevé que l’actuel, un climat nettement tropical domine. Les paysages du Roussillon évoquent le sahel ou les savanes du kenya.

(2) (Voir ouvrage Jean Claude Bousquet « La géologie du Languedoc Roussillon » p 79.)

(3) http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-51321-FR.pdf

@Kevin Goubern

De -5,96 à – 5.3 Ma. Le détroit de Gibraltar se referme sous les effets de la tectonique. La mer méditerranée est privée des apports en eau de l’océan atlantique, elle voit son niveau chuter de plus de 1500 m. cet épisode est appelé « crise Messénienne ». Pendant cette période le Roussillon est entaillé de profonds canyons par des fleuves qui gagnent en vigueur du fait de l’important dénivelé qui les sépare désormais du niveau de base.

Il y a 5.3 Ma. lorsque la remise en eau de la mer méditerranée s’effectue sous le coup d’un nouveau mouvement des plaques, la mer méditerranée envahit des reliefs bien différenciés. Le Roussillon se transforme en un golfe marin. La vallée de la Tet ressemble à un bras de mer limité au sud par les collines des Aspres et au nord par l’escarpement granitique du plateau de Montalba. Le rivage atteint le col de Ternère, ce qui correspond à une intrusion marine de +80 m. par rapport au niveau actuel.

Avec la remontée des eaux, les fleuves vont déposer des matériaux qui soutiennent aujourd’hui ou arment les falaises du site des Orgues. Le remplissage pliocène des vallées creusées au messénien présente un facies caractéristique de Gilbert deltas que le professeur Clauzon a mis en évidence. (Clauzon 1990)

Le modèle générique des Gilbert Deltas, exemple du Roussillon (Clauzon 1990) (4)

  • Le pliocène marin argileux s’est déposé dans les zones de plus forte profondeur, suivant de grandes obliques de 10° de pendage.
  • Le pliocène marin sableux s’est déposé dans des profondeurs moindres. Il est essentiellement constitué d’éléments fluviatiles bien arrondis, non cimentés, qui créent par « système d’avalanche » de grandes obliques qui peuvent atteindre 35° de pendage.
  • Le pliocène continental s’est déposé en amont, dans la partie émergée. Il regroupe un ensemble de formations qui sont d’amont en aval : des cônes alluviaux, avec blocs arrachés par l’érosion dans l’arrière-pays, des faciès palustres, des facies sableux alluviaux de structure planaire et des faciès marins sableux qui correspondent à d’anciens niveaux de plage.

Pendant le pliocène le comblement se poursuit, il s’étale sur des millions d’années. Au fur et à mesure des apports sédimentaires, le rivage est repoussé vers sa limite actuelle et le paysage évolue en conséquence : la baie se transforme en un marais maritime, puis en une zone palustre aux eaux douces et stagnantes, enfin le fleuve prend possession de l’espace, il étale dans la vallée ses bras indolents en chenaux anastomosés.

À cette époque le paysage ressemble à la savane africaine, des étendues de hautes herbes, jaunies par le soleil et battues par les vents s’étalent jusqu’aux collines arborées. Quelques grands arbres de la famille des acacias émergent tels des parasols immenses. On retrouve des singes, des rongeurs, des éléphants (Anancus arvernensis), des rhinocéros, des hippopotames, des tortues terrestres, des gazelles, des renards, des lynx, mais aussi des espèces telles que l’hipparion ou le machairodus. (4) (Les animaux pliocènes du Roussillon / par Charles Depéret)

C’est une époque charnière dans l’évolution climatique de la planète, l’aridification progressive de ce climat tropical permet l’apparition du climat méditerranéen et préfigure le refroidissement quaternaire.

Au quaternaire la Tet étage un ensemble de terrasses alluviales. Elles résultent de l’enfoncement du réseau fluviatile dans les dépôts pliocènes puis de remblaiements successifs liés aux variations eustatiques de la mer méditerranée.

En effet, lors des pics glaciaires, l’énorme quantité d’eau monopolisée sous forme de glace continentale fait baisser le niveau marin. Il y a 18000 ans par exemple, la méditerranée est 120 m. sous son niveau actuel. Lors des périodes de réchauffement, la glace fond, les eaux remontent et les fleuves surchargés sont contraints d’alluvionner.

A Ille sur Tet, la plus ancienne terrasse (T5) date du Villafranchien, elle couronne les sédiments de la Matte Roudoune.

Le site des Orgues doit sa coiffe et par extension son existence aux premiers froids quaternaires puisqu’en chapotant les couches plus tendre du pliocène cette nappe de blocaille a permis à des terrains plus fragiles de traverser le temps jusqu’à nous.

Évolution du site.

Aujourd’hui l’évolution du site est rapide, les falaises de matière sédimentaire sont à nu. Quelques îlots de végétation subsistent sur les sommets, ils sont trop disséminés pour préserver efficacement les sols de l’érosion.

L’intensité des pluies méditerranéennes n’aide pas. Ces précipitations violentes favorisent le ruissellement : les incisions linéaires sont vives, les pentes dévégétalisées sont entaillées de ravines, les sols s’appauvrissent puis partent avec le lessivage. Sur les parois verticales, l’érosion est devenue maitresse du lieu, à part quelques mousses et lichens, les plantes ne peuvent plus recoloniser l’espace.

Au contraire, les pentes les plus douces sont encore végétalisées et donc protégées. Elles sont recouvertes d’essences méditerranéennes capables de résister à l’aridité estivale. On retrouve des chênes verts, des chênes pubescents, des pistachiers lentisques, des arbousiers, de la lavande stoechas, des immortelles communes, du thym, du romarin, des cistes cotonneux, des cistes à feuilles de laurier, des cistes de Montpellier, de la bruyère arborescente, des asparagus etc.

Le site présente donc un aspect contrasté ou la végétation dispute à la roche dénudée l’espace nécessaire à sa survie.

III] Histoire humaine.

La rive écorchée.
Au début du XXeme siècle le site des orgues est appelé « Els Terrers » par les catalans, cela désigne dans la toponymie locale des terres arides et pauvres. La population fait également référence à la « rive écorchée » pour désigner la rive nord de la vallée de la Têt, en raison des nombreux ravins qui entaillent cette frange de matière sédimentaires, située entre le plateau de Montalba et de la vallée.

Personne ne s’intéresse particulièrement au lieu, les sols sont pauvres, graveleux, fortement drainés, pourtant des vestiges de murettes subsistent encore sur les pentes. Ce sont des « feixes » elles témoignent d’une activité viticole tombée en désuétude.

Période agricole.

Depuis 1775 la vigne est en pleine extension dans le Roussillon. Après la crise de l’oïdium et celle du phylloxera qui ont eu des conséquences économiques déplorables, les viticulteurs roussillonnais privilégient le rendement à la qualité. Un choix qui les conduit lentement vers une crise de surproduction.

En 1903 la vigne occupe plus de la moitié de la surface agricole du Roussillon, elle a perdu du terrain dans quelques communes comme celle d’Ille sur Têt où prospèrent surtout la céréaliculture et les herbages. Les jardins forment autour du village une ceinture verdoyante et fraîche qui offre des revenus beaucoup plus stables que ceux de la vigne en crise. Grace à l’excellent réseau d’irrigation l’horticulture triomphe de la sécheresse estivale. La puissance du soleil permet des récoltes variées et naturellement précoces. Les jardins souvent assis en contrebas profitent du limon fluvial, ils sont protégés de la tramontane par des haies de cyprès ou par des clayonnages de roseaux. (6)

L’arrivée, puis le développement du chemin de fer, ouvrent des perspectives nouvelles dans la vallée de la Têt, l’horticulture prendra le pas sur la céréaliculture ou sur la viticulture.

Dans la région d’Ille sur Têt la pêche devient le fer de lance de l’activité économique. Les vergers occupent de plus en plus d’espace, jusqu’à forcer les exploitants à reconquérir les mauvaises terres de la rive écorchée pour y planter des arbres qui donneront d’excellentes pêches de vignes.

Aujourd’hui la plupart de ces terrains sont recouverts par la garrigue. De la période agricole il ne subsiste de rares vergers de pêchers et quelques jardins d’oliviers.

III] Gestion et Administration

Le site est classé en 1981, il s’agit alors d’un verger de pêchers situé dans un amphithéâtre naturel au cadre époustouflant. L’exploitant poursuis son activité agricole jusqu’en 1992. Aujourd’hui encore la visite s’articule autour des trois terrasses qu’il a aménagé pour planter ses arbres.

En 1992 la mairie d’Ille sur Têt rachète le site. Dès lors, du personnel s’occupe de l’accueil et de la sécurité. L’entretien est régulier, un parking est mis en place, l’accès se voit réglementé par un droit d’entrée.

En 1996 le site est rattaché au « le Pôle d’économie du patrimoine » un E.P.I.C. qui a pour mission de développer le tourisme dans l’arrière-pays catalan. Il travaille en collaboration avec une trentaine de communes et d’autres lieux touristiques tels : le château musée de Bélesta, l’hospice d’Illa, la tour des parfums de Mosset ou le musée de l’agriculture de Saint-Michel-de-Llotes.

L’E.P.I.C. dépose le bilan en 2001 et depuis la commune d’Ille sur Tet assume seule la gestion et l’entretien du site.

IV] Tourisme.

Ce site marque l’imagination des visiteurs, les points de vue et les perspectives qu’il offre dépaysent tellement qu’on les retrouve sur de nombreux supports : cartes postales, sets de table, affiches ou couvertures de presse. Ce paysage est devenu au fil des ans une image incontournable des Pyrénées Orientales.

V] Notes et références.

Loi du 02 mai 1930 (1)

Les orgues ont été répertoriées par le site Le Bon Guide comme l’un des « vingt endroits de France à voir absolument avant de mourir »

Les 20 endroits à voir absolument avant de mourir

Voir ouvrage Jean Claude Bousquet « La géologie du Languedoc Roussillon » P 79. (2)

Synthèse hydrogdologique de la vallée de la Têt (3)

https://www.researchgate.net/figure/236615849_fig3_Figure-4-Gilbert-delta-genetic-model-Clauzon-et-al-1990-The-continental-Pliocene (4)

Informations bibliographiques (5)

http://www.persee.fr (6)

VI] Annexes.

http://geolfrance.brgm.fr/

http://geolfrance.brgm.fr/

http://www.personnel.lenoblejeanlouis.fr/